| Pour une fiction interactive gratifiante. Longueur 2 x A4 à copier pour lire au calme |
Fiction interactive - David Cohen ©
Essence de la fiction
La fiction est le genre le plus difficile en interactivité.
A quelle désir répond la fiction?? Pour les enfants, c'est "raconte moi une histoire", pour les adultes , c'est lire ou voir un film.Prenons l'exemple du film parce que la fiction y est souvent plus envoutante.
L'élément majeur dans la magie du cinéma, c'est le noir de la salle. C'est lui qui met en valeur l'image et surtout, c'est lui qui permet au spectateur de s'oublier, d'oublier le monde réel pour mieux croire au virtuel projeté, pour mieux s'identifier au héros, pour vivre ce rêve éveillé...Un éditeur de CD Rom racontait que ses enfants lui demandaient de faire le noir pour "être bien dans l'écran".
Tous les auteurs de fiction savent que le premier critère de leur talent, c'est la faculté d'"emmener" leur spectateur ou leur lecteur.
Dans la fiction, qu'est ce qui est le plus important le personnage suivi , l'identification à un personnage, l'intrigue, l'environnement, les autres personnages, ...? Les fictions classiques insistent tour à tour sur chacune de ces composantes,
A quelle fiction sommes-nous habitués? Nous connaissons des fictions linéaires dont le temps est compté ce qui ne les empêchent pas d'être passionnantes…parfois. Ces ersatz de vies arrivent à d'autres que nous. Cette position de spectateur induit des angles de caméra qui indiquent le plus souvent l'extèriorité à l'action. Nous sommes dans une voiture rapide (sensation de risque) et tout à coup nous la voyons de haut (chouette, je vais voir un accident!).
Résumons :
Il faut le noir, la continuité temporelle, l'oubli de soi dans un monde imposé. Il n'y a aucun risque, si ce n'est la gratification d'"avoir vécu intensément le spectacle d'une autre vie que la sienne" (GD). Si l'auteur manque de talent, je deviens un critique non impliqué.
La fiction interactive actuelle
Quand nous demandons à un interacteur de cliquer, nous lui demandons de reprendre conscience pour faire son choix. Nous arretons de raconter l'histoire, nous rallumons la salle de cinéma de notre film. Il reprend pied dans le réel.
Et nous lui disons " tu es libre, la vie s'arrête en attendant ton choix!".
La jeunesse de l'interactivité, c'est de croire que l'interacteur recherche la plus grande liberté. En fait, le manque de maitrise de l'intrigue entraine le concepteur à proposer de larges choix: d'où le mythe "chaque interacteur devient auteur!". Or cette totale liberté, c'est la page blanche et l'angoisse qui va avec.
"Raconte moi ton histoire!" demande l'interacteur.
"La meilleure histoire, c'est celle que tu écris toi-même "répond le concepteur interactif.
C'est vieux comme les années 70.Même les Djinns des Mille et une nuits n'arrêtaient pas le temps. Même eux mettaient des conditions : trois choix, avant minuit, parcours initiatique...; des conditions métaphoriques du temps qui passe.
Les autres fictions prennent des points de vue différents alors que l'interactivité, à cause de la souris, donne la primauté à une caméra subjective. Nous savons maintenant qu'un bon film de fiction ne reste jamais longtemps en caméra subjective.
Résumons :
Il faut choisir, l'action s'arrête en attendant. Je devient responsable de mon histoire et donc de son échec : "ça n'arrive qu'à moi!". Je suis tellement libre que je visite plus d'impasses que de voies royales. Heureusement que j'ai plusieurs vies, ...mais quelles vies?.
Que faire? Relever le défi!
Une hypothèse, fortement étayée, attribue aux rêves une fonction d'exercices de confrontation sans risque à des "réalités" différentes. Ce serait l'une des raisons de la forte activité onirique des bébés, activité qui diminue avec l'âge.
Pour les adultes, les rêves seraient des ersatz d'aventures (d'où les rapports au désir) dans la mesure où la vie quotidienne n'en offre pas assez. "Celui qui voit son rêve réalisé n'a plus besoin de dormir, ...sauf s'il a d'autres rêves".
Le rêve va son chemin, il surprend, il emmène, il environne, il court à son terme comme les bons films, comme les bons livres. Qui dit "bon", dit talent, qui dit talent, dit auteur.
A mon sens, il faudrait qu'une fiction interactive reste continue (ex jeux vidéos, mais là il n'y a pas d'intrigue) comme la vie, comme le temps qui ne s'arretent pas quand un choix se pose, fut-il fondamental.
Comme pour toute intrigue, il faut donc un début et une fin avec un sens de l'histoire (dans toutes les acceptions du terme). L'avantage à exploiter dans l'interactivité, c'est qu'elle permet plusieurs débuts et plusieurs fins avec des parcours trés variés entre les deux extrémités. Si on donne au livre ou au film l'image d'une ligne temporelle, nous pouvons imaginer la fiction interactive comme un ensemble de ligne temporelles parallèles qui pourraient s'interconnecter ou se croiser. Ainsi nous renouvelons l'intéret par la variété des histoires racontées sur une meme trame.
Résumons :
3 types de fiction interactive:
1 - les jeux "shot them ou course" où la seule "fiction" provient des obstacles mis en travers de la route : ennemis divers, concurrents à dépasser, méandres d'une route. Cette "fiction" est trés proche de la réalité en ce sens qu'une fois l'action lancée peu de choses peuvent l'arreter si ce n'est la mise hors course, hors combat de l'interacteur.
2 - les "aventures" où dans un environnement donné
ex Myst, X Plora, Puppet Motel.
L'interacteur doit avancer, progresser mais sans qu'une direction, une intrigue lui
soit suggerée. Il y a arrêt de l'action dans l'attente d'un clic ou
d'un indice.Problème de Myst dont il a fallu donner les indices tellement
les interacteurs perdus désaffectaient le jeu. Imaginez un film qui perdrait
9 spectateurs sur 10 en cours de projection. Les simulateurs de vol ont en été
la première illustration. La 3D et la RV semblent en être l'environnement
idéal par la liberté de mouvement qu'elles permettent. La liberté
(trop de liberté?) justement caractérise ces "aventures"
sans doute par contraste avec la linéarité obligée du film.
Des fictions tous azimuths.
Les jeux de type monopoly ou jeux de l'Oie appartiennent à ces "aventures"
mais ils métaphorisent la continuité de la vie par des coups de dés
(obligation de bouger, de risquer) dans un environnement existant déja regulé.
Myst ou Versailles sont
des monopoly sans dés et de nombreuses routes s'y terminent en impasses.
Dans l'histoire des jeux, seuls les jeux vidéos sont allés aussi loin
dans les sanctions, les arrêts de jeux, les blocages. Memes les jeux de rôles
ont un maître pour les relancer, pour jouer le rôle du temps qui provoque
l'action voulue ou non.
3 - les fictions continues (ex le livre dont vous etes le héros) avec environnement et histoire racontée ou vécue. Dans ce cas, nous vivons une véritable histoire. Ce ne sont plus des paysages seulement mais aussi des événements qui orientent l'histoire que nous vivons. Celle-ci a un début et elle aura une ou plusieurs fins possible mais ces fins sont inéluctables.
Et je préfère de loin celles qui se déroulent quoique l'interacteur fasse, qu'il clique ou non.
On retrouve enfin, pour l'interactivité, la fameuse continuité de fiction qui attire les foules au cinéma (on éteint la salle et je m'oublie dans l'action portée à l'écran) et celle qui attire les enfants quand ils demandent "raconte moi une histoire". Il n'y a plus ni sortie, ni impasse de l'intrigue, plus de "rallumage de la salle de cinéma".
D'où le projet d'un film
interactif à déroulement continu.
Références :
Mixed Emotions - Rosa Freitag
Opération Teddy Bear - Edouard Lussan
Aventure Chilienne - Jean Cassagne